L’exigence de la rencontre pour une communication humaine authentique
Après avoir centré le Message de la 54ème Journée Mondiale des communications sociales (JMCS) sur l’urgence de recourir aux récits qui « construisent, et non qui détruisent », le Pape François, cette année, nous invite à communiquer en rencontrant les personnes où et comme elles sont à partir du passage biblique « Viens et vois » (Jn 1,46). Ledit Message entend rappeler l’importance primordiale de la rencontre , de l’expérience de la corporéité dans la communication humaine et surtout dans l’œuvre d’évangélisation. De sa lecture, se dégagent trois points importants d’interpellation à la lumière du contexte ecclésial et social béninois.
1- Halte aux «journaux photocopie»
La presse, affirme le Pape François dans le Message, est aussi une aventure de la rencontre avec les oubliés ou les marginalisés de la société : « Le journalisme également, en tant que récit de la réalité, exige la capacité d’aller là où personne ne va : un déplacement et un désir de voir.» C’est pour cela qu’il salue le courage des professionnels des médias qui, au prix parfois de leur vie, ont permis à l’opinion internationale de prendre conscience de certaines injustices ou mêmes conflits oubliés. On se rappelle avec émotion de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, deux journalistes de RFI, kidnappés et assassinés à Kidal, le 2 novembre 2013, après avoir bouclé une interview avec une figure de la rébellion armée. Le Pape a toutefois mis en garde, contre l’aplatissement des « journaux photocopie » qui survient quand les médias (radio, télévision, sites internet » retrouvent un unisson suspect. C’est le sens de l’expression « Journaux photocopie » qui signe l’arrêt de mort des genres journalistiques tels le reportage ou l’enquête. Les médias servent alors d’amplificateurs aux informations « pré-fabriquées » provenant « d’en haut » et non du terrain.
En parcourant les manchettes des quotidiens béninois, on est parfois frappé par la ressemblance des titres jouant souvent sur la synonymie. Les mêmes sujets sont repris en chœur. Sauf erreur de ma part, les bons et grands reportages, dossiers et enquêtes journalistiques sont en train de se raréfier dans la presse béninoise. Quand lirons-nous de vraies enquêtes journalistiques sur la gestion du pays ou sur les événements malheureux de Tchaourou, Bantè et de Savè qui ont marqué les dernières élections présidentielles de 2021 ?
Le Pape est aussi revenu, dans son Message, sur les opportunités et les dangers liés à l’usage de l’internet. « La technologie numérique nous donne la possibilité d’une information directe et rapide, parfois très utile (…) Nous pouvons tous potentiellement devenir témoins d’événements, qui autrement seraient négligés par les media traditionnels, apporter notre contribution citoyenne, fait émerger davantage d’histoires, notamment positives. Grâce à internet, nous avons la possibilité de raconter ce que nous voyons, ce qui a lieu sous nos yeux, de partager des témoignages. » Avec l’internet, tout usager peut devenir source d’informations, recevoir de manière instantanée des informations provenant de n’importe quelle partie du monde, apporter sa contribution réflexive à la vie de la cité… Les opportunités de l’internet sont immenses. Tout aussi graves sont les dangers liés à l’internet ; le Pape met en relief la manipulation de l’image à des fins inavouées. On pourrait tout aussi bien ajouter les risques liés à la promotion en ligne de la haine, de la violence, de la dépravation sexuelle et à des comportements qui relèvent de la cybercriminalité : fraudes, harcèlements, arnaques, usurpations d’identité, phishing ou hameçonnage…En soulignant les avantages tout comme les dangers liés à l’internet, le Pape François a invité tous les usagers à « une plus grande capacité de discernement » et à « un sens plus mûr de responsabilité ».
Le « discernement » et « la responsabilité » s’imposent aux uns et autres sur internet dans la mesure où nous assistons aujourd’hui à ce que nous qualifions de « démangeaison digitale », une sorte d’obsession à tout publier, à tout partager et même des informations graves et sensibles n’ayant fait l’objet d’aucune vérification de notre part. « Dans la communication numérique, on veut tout montrer » disait déjà le Pape François dans l’Encyclique Fratelli tutti. Comme outil de discernement pour les publications en ligne, nous proposons l’application des trois tamis de Socrate : « Ai-je vérifié si ce que je m’apprête à publier est vrai ? »(vérité), « Est-ce que ce je m’apprête à publier est bon et fera du bien ? » (bonté) et enfin « Ce que je m’apprête à publier est-il utile aux destinataires ? » (utilité). Ces trois tamis peuvent aider à affiner le discernement en matière de publication sur le net. Quant à la responsabilité, elle pourrait commencer par l’observation des deux principes éthiques énoncés par l’Eglise en matière de moyens de communication sociale : « La personne humaine et la communauté humaine sont la fin et la mesure de l’utilisation des moyens de communication sociale ; la communication devrait se faire par des personnes en vue du développement intégral d’autres personnes ». Le deuxième est le suivant : « …la libre expression devrait toujours respecter des principes comme la vérité, la justice et le respect de la vie privée. » A ces deux principes, nous voudrions ajouter la lecture, l’assimilation et l’application de Livre sixième de la Loi n° 2017-20 du 20 avril 2018 portant code du numérique en République du Bénin. Les sanctions prévues par ledit Code pour les comportements déviants sur le net sont assez lourdes pour contraindre les uns et les autres à une utilisation responsable de l’internet. Il sera dommage de devoir payer des amendes et de se retrouver à purger de lourdes peines derrière les barreaux par simple ignorance ou négligence. Nul n’est censé ignorer la loi !
Le troisième point d’interpellation de ce Message du Pape est celui de la rencontre inscrite au cœur de toute œuvre d’évangélisation. Depuis les rives du Jourdain et du lac de Galilée, la foi chrétienne se communique par des rencontres interpersonnelles et des expériences concrètes. Deux passages importants retiennent notre attention : « La bonne nouvelle de l’Evangile s’est diffusée dans le monde grâce à des rencontres de personne à personne, de cœur à cœur. » et « Depuis plus de deux mille ans, c’est un enchaînement de rencontres qui nous communique la fascination de l’aventure chrétienne. Le défi qui nous attend est donc celui de communiquer en rencontrant les personnes où et comme elles sont. » On comprend bien cette insistance du Pape sur la rencontre quand on se réfère au contexte mondial et ecclésial actuel encore largement dominé par la pandémie de la Covid-19. En effet, malgré la fabrication de plusieurs vaccins, l’apparition de variants du virus maintient à l’ordre du jour des préoccupations mondiales, ce fléau imprévisible à tous égards et aux conséquences multiples. L’homme contemporain a été affecté dans l’usage de sa corporéité. Il lui est vivement conseillé de prendre aux sens propre et figuré, ses « distances » par rapport à ses semblables pour éviter toute contamination. Seules les rencontres onlineconsidérées « aseptisées » sont recommandées. Dans son Encyclique Fratelli tutti, le Pape François a insisté sur la corporéité dans la communication humaine : « Des gestes physiques, des expressions du visage, des silences, le langage corporel, voire du parfum, le tremblement des mains, le rougissement, la transpiration sont nécessaires, car tout cela parle et fait partie de la communication humaine. »
Dans un tel contexte, il était important de rappeler l’exigence de la rencontre pour une communication qui se veut authentiquement humaine et surtout pour l’évangélisation. Les moyens de communication tout comme les ressources de l’art oratoire sont certes utiles pour la transmission du message de la foi mais, ils ne sauraient remplacer l’expérience concrète ou le témoignage du missionnaire face aux destinataires de la Bonne Nouvelle. C’est le moment de s’interroger sur l’effort consenti pour aller à la rencontre des différentes réalités ecclésiales des paroisses et des diocèses. A plusieurs égards, la foi se vit de manière cloisonnée et se résume dans la participation aux offices religieux et aux activités de son groupe de prière ou d’apostolat. Il est urgent au sein de l’église, d’aller à la rencontre des autres frères et sœurs partageant la même foi pour partager leurs expériences. Ceci rentre bien dans la perspective de l’Eglise envisagée en Afrique comme famille de Dieu. Le défi devient plus important quand il est question d’aller à la rencontre de ceux qui ne connaissent pas le Christ, de ceux qui ont abandonné la pratique de la foi sans changer de religion, de ceux qui ont changé de religion, de ceux qui appartiennent à d’autres religions…Il s’agit de secouer nos espaces de commodité et nos assurances, d’user « les semelles » pour réapprendre l’art de la rencontre qui suppose l’ouverture à l’autre, l’acceptation de la différence, l’abandon de toute rigidité formelle ou de toute fixation conceptuelle ou psychologique. De telles rencontres pourra naître ou renaître la foi ou tout au moins le début d’un cheminement promis à toutes les surprises de l’Esprit et de la grâce divine.
Le Message de cette 55ème JMCS a le mérite de remettre la rencontre des autres où et comme ils sont, au centre de la communication humaine et de la vie de foi. Il est important que résonne un tel message alors que le contexte de la pandémie du Covid-19 tend à renforcer les tendances au repli sur soi. Les « journaux photocopie » naissent de l’évitement de la rencontre avec la réalité sociale dans sa diversité au profit des classes dirigeantes tandis que l’usage irresponsable et sans discernement de l’internet pourrit les relations sociales et éloigne les personnes les unes des autres. La rencontre sans préjugés de l’autre est un puissant levier d’évangélisation.
Abbé Eric Oloudé OKPEITCHA
Directeur de la Cellule de communication de la CEB