Durant le temps du carême, l’Eglise catholique invite ses fidèles à vivre un cheminement de 40 jours et 40 nuits marqué par le jeûne, la prière et le partage pour pouvoir célébrer le mystère pascal dans la joie d’un cœur apaisé, réunifié et purifié. Mais des trois exercices spirituels proposés, le jeûne paraît celui qui est spécifique au temps de carême. En effet, tout au long de l’année liturgique, l’Eglise invite ses fils et filles à la prière, à l’amour du prochain et au partage. « Priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ » (1Th 5, 17-18.) nous dit saint Paul. Il en est de même pour la charité fraternelle qui est toujours sous-jacente à l’enseignement et à la vie de l’Eglise. Seulement, au sujet de la pratique du jeûne comme activité spirituelle du carême, deux courants divergents traversent le peuple de Dieu.
Le premier prend fait et cause pour le jeûne moral et spirituel qui consiste globalement à s’abstenir du péché et de tous les actes qui déplaisent à Dieu. En ce sens, on jeûne des critiques, du mensonge, de la rancune et bien d’autres comportements du même genre. Le jeûne corporel et physique qui consiste à s’abstenir de la nourriture et de la boisson pendant une période donnée est délaissée même les deux jours d’obligations fixés par l’Eglise à savoir le mercredi des cendres et le vendredi saint. (Can.1251). Ainsi, fourchettes et verres poursuivent allègrement leurs envolées comme à l’ordinaire. Evidemment les arguments ne manquent pas :
Le deuxième courant considère le jeûne corporel et physique comme tremplin pour vivre le jeûne spirituel et hâter l’avènement du Règne de Dieu. En effet, si le Christ a tout souffert pour notre salut sur la croix, il aussi demandé au chrétien qui veut le suivre de « renoncer à lui-même, de prendre sa croix et de le suivre » (cf. Lc 9, 23). Le chrétien est sauvé par pure grâce mais il est invité à adhérer et à collaborer à son salut. On se rappelle les paroles de saint Augustin : « Dieu nous a créés sans nous, il n’a pas voulu nous sauver sans nous. »[1] L’Epoux est avec nous mais la plénitude de sa présence en nous est pour la fin des temps. Et c’est pour cela que l’Eglise ne cesse de crier : « Oui, viens Seigneur Jésus ! » (Ap 21, 20)
Le deuxième courant veut marcher sur les pas du Christ lui-même qui a jeûné 40 jours et 40 nuits au désert et a ressenti la faim (Mt 4, 1-4). Il veut suivre l’exemple de la communauté primitive qui priait et jeûnait souvent (cf. Ac 13,3 ; 14,22 ; 27,21 ; 2 Co 6,5.). Il voudrait s’inspirer des Pères de l’Eglise et des Pères du désert qui ont mis l’accent sur la capacité du jeûne à freiner les élans du « vieil homme » qui sommeille en nous. Dans son Message de carême de 2009, le Pape Benoit XVI affirmait ce qui suit : « Le jeûne représente une pratique ascétique importante, une arme spirituelle pour lutter contre tous les attachements désordonnés. Se priver volontairement du plaisir de la nourriture et d’autres biens matériels, aide le disciple du Christ à contrôler les appétits de sa nature affaiblie par la faute originelle, et dont les effets négatifs investissent entièrement la personne humaine ». Ainsi, par le jeûne, le chrétien pourra faire fructifier le salut obtenu dans le Christ en se recentrant sur Dieu, en étant plus disponible au prochain à travers les œuvres de miséricorde et en prenant autorité sur le démon et ses suppôts. (cf. Mt 9, 25-29) L’enseignement de saint Basile le Grand reste d’actualité : « Pour ceux qui n’ont point à lutter contre “la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les dominateurs de ce monde de ténèbres et les esprits d’iniquité”, ils doivent se préparer au combat par la sobriété et le jeûne. Si l’huile rend les athlètes plus souples, le jeûne fortifie celui qui s’exerce à la piété. »[2]
Eu égard aux énormes bienfaits corporels et spirituels du jeûne, si notre santé le permet, il convient en ce temps de carême, d’aller résolument au-delà des deux jours frappés d’obligation pour renforcer notre prière et notre partage par la puissance du jeûne comme nous y exhorte saint Pierre Chrysologue : « Le jeûne est l’âme de la prière, la miséricorde est la vie du jeûne. Donc, celui qui prie doit jeûner ; celui qui jeûne doit avoir pitié. »[3]
Fructueux temps de carême à tous et à chacun
Jeudi 02 mars 2023
Père Eric Oloudé OKPEITCHA
Diocèse de Porto-Novo
[1] SAINT AUGUSTIN, Sermon,169, 11, 13 : PL 38, 923.
[2] SAINT BASILE LE GRAND, Seconde homélie sur le jeûne, in Chefs-d’œuvre des Pères de l’Eglise, Tome 4, Paris, Bibliothèque ecclésiastique, p. 403.
[3] SAINT PIERRE CHRYSOLOGUE, Sermo 43 : PL 52, 320. 332.